La semaine dernière, le rachat d’Activision par Microsoft pour une somme avoisinant les 70 milliards de dollars a fait l’effet d’un séisme jamais vu dans l’industrie du jeu vidéo. En s’arrogeant les droits d’exclusivité des licences d’Activision (sauf Call of Duty, qui devrait rester multi-plateformes selon Phil Spencer), Microsoft place ses consoles Xbox et le Game Pass à des niveaux qu’on ne les pensait pas capables d’atteindre, du moins pas aussi vite. Et bien évidemment, le rachat a provoqué d’innombrables réactions en rapport à Sony et PlayStation, certains parlant de faillite, d’autres exigeant une réponse. Mais en réalité, Sony n’a pas à répondre du tac au tac à Microsoft en rachetant un éditeur, et ne le peut de toute manière pas. En voici les raisons dans cet édito, qui n’engage que l’opinion de son auteur.
Le résumé des tenants et aboutissants pour Microsoft
Pendant toute la génération précédente, Microsoft a couru après Sony et l’insolent succès de sa PS4, alors même que la Xbox 360 avait dominé le plus clair de la génération d’avant, donnant, le croyait-on, un avantage à la firme américaine en 2013. Depuis la fin 2020 et le lancement des consoles de nouvelle génération, le constat est le même, mais à une exception près : l’existence du mastodonte qu’est le Game Pass. Avec ce service, Microsoft n’a plus (ou déjà beaucoup moins) à se soucier de son retard par rapport à Sony en termes de ventes. Au contraire, le plus important est d’alimenter le plus possible le Game Pass pour faire augmenter les abonnements, comme le font Netflix, Amazon Prime et Disney Plus.
Et pour alimenter un tel service, qui a habitué ses clients à des sorties day-one des plus gros jeux, le contenu est roi. C’est bien ce que Phil Spencer et ses supérieurs ont compris en rachetant Zenimax (Bethesda) pour 7,5 milliards de dollars, un montant qu’on considérait déjà comme astronomique. Avec Activision, la fenêtre d’opportunité a été les difficultés de l’entreprise mais le résultat fut le même : en les rachetant, pour une somme certes énorme mais qui au niveau de la capitalisation de Microsoft ne représente pas grand chose, Xbox s’assure un flot continu de nouveaux gros jeux sur le Game Pass, à même de favoriser la rétention des clients, et donc la poursuite de leurs abonnements.
Sony peut-il répondre à Microsoft sur son terrain ?
Quand on compare PlayStation et Xbox, on remarque que le constructeur/éditeur japonais dépasse son concurrent américain en termes de revenus. Avec Tencent, PlayStation est d’ailleurs dans le top 2 des éditeurs de jeu vidéo au niveau mondial, devant Xbox (mais plus pour longtemps). Mais cela n’est finalement qu’une partie de l’équation, car PlayStation est avant tout la propriété de Sony, et Xbox celle de Microsoft. Et quand on se met à comparer les capitalisations de ces deux entreprises là, tout change. Alors que Microsoft fait partie des GAFAM et est l’une des plus grandes et importantes multinationales de l’histoire, Sony ne peut faire le poids.
À ce titre, il apparaît impossible pour Sony de répondre à Microsoft sur le terrain du rachat des plus gros éditeurs. Même Zenimax, avec ses « petits » 7,5 milliards de dollars, apparaît inaccessible. Et ce sera le cas pour Ubisoft, Take-Two, Electronic Arts, etc.
Sony doit-il répondre à Microsoft sur son terrain ?
Mais évidemment, une fois cette analyse faite, il apparaît tout de même impossible que Sony reste les bras croisés. Commençons déjà par ce qui est sûr, ou probable :
- Le projet Spartacus : comme révélé par Jason Schreier il y a quelques semaines, Sony travaille activement sur une réponse au Game Pass. Ce projet Spartacus inclurait, dans un abonnement unifié, les services du PS+ et du PS Now, ainsi qu’un large catalogue de jeux allant de la PS1 à la PS5.
- La rétrocompatibilité : comme le montrent de récents brevets de Mark Cerny, Sony aurait enfin trouvé la clé pour faire de la rétrocompatibilité des anciens jeux PlayStation sur la PS5.
- Le PlayStation Video Pass : ce projet, pour l’instant à l’essai en Pologne, rassemblerait dans un service de streaming à la Netflix l’offre des films et séries Sony, en plus de Crunchyroll, le service de streaming d’animation. Ce projet devrait être inclus dans l’abonnement Spartacus.
Ces trois projets, qui pourraient faire partie de l’énorme projet Spartacus, montrent déjà que Sony s’apprête à totalement réformer son offre pour répondre à Microsoft sur le terrain des services. De cela, nous pouvons tirer deux enseignements. Le premier est que pour l’instant, Sony cherche à concurrencer Microsoft sur les services, et non pas sur l’aspect financier et les gros rachats. Le second est que la firme japonaise semble suffisamment confiante en ses capacités pour n’avoir pas encore tenté de racheter un gros éditeur.
En effet, le séisme provoqué par le rachat d’Activision ne doit pas faire oublier que Sony a ses avantages, à savoir :
- Une excellente offre de jeux exclusifs, avec un ensemble de PlayStation Studios très performants. De cela découle une identité et une image de marque fortes et installée chez les consommateurs, en témoignent les belles ventes de la PS5.
- Un line-up d’exclusivités à venir exceptionnel, avec Horizon, God of War, Gran Turismo, Spider-Man…
- Des relations privilégiées avec plusieurs éditeurs, qui devraient, entre autres, lui permettre de garder Call of Duty sur PlayStation (même si sur ce point, l’accord de Phil Spencer est primordial et dans ce sens à saluer).
- Une politique de rachat qui se concentre sur les studios individuels et non pas les éditeurs, ce qui permet d’être encore plus précis dans la fabrication d’une offre claire.
- Une politique de portage de jeux sur PC qui fonctionne à merveille (God of War).
- Une aventure dans la VR que Microsoft ne semble pas prêt à entamer.
Là est toute l’équation de Sony : en mettant en place le projet Spartacus, si toutes les informations que nous détaillons plus haut sont vraies, ce service d’abonnement ferait plus que concurrencer le Game Pass. Ensuite, et comme nous l’avons vu tout au long de l’année 2021, la politique de Sony qui se concentre (tant par stratégie qu’à cause de sa situation financière plus faible) sur les rachats de studios et la signature de deals d’exclusivités (Haven, Ember Lab, Deviation Games, etc) semble porter ses fruits, tant au niveau critique que commercial.
Ajoutons de même qu’un partenariat avec Deviation Games, un studio composé de vétérans du développement de jeux de guerre (entre autres Call of Duty), pourrait permettre à Sony de publier un jeu FPS qui concurrencerait le Call of Duty d’Activision et Microsoft. Deviation Games, qui vient d’ailleurs d’ouvrir une filiale au Canada, pourrait relancer la tradition des grands jeux de guerre de Sony, qui s’est estompée depuis la fin de la PS3 (Killzone, Resistance, SOCOM).
Ainsi, il est important de rappeler une chose pour PlayStation : il sera de toute manière impossible de répondre au rachat d’Activision sur le même terrain. Se baser sur ses qualités actuelles (forte image de marque, ventes excellentes, préférence générale de la population pour sa console) et se renforcer là où c’est possible et de manière plus ciblée semble donc être la meilleure réponse que Sony pourrait apporter à Microsoft. Il n’est pas lieu, en effet de s’inquiéter. PlayStation ne va pas disparaître du jour au lendemain, et son succès ne s’évaporera pas du jour au lendemain non plus.
Si Microsoft réalise un énorme coup en s’arrogeant l’édition exclusive de jeux tels qu’Elder Scrolls, Warcraft ou… Crash Bandicoot, Sony n’est pas en reste et doit continuer sa stratégie d’acquisition d’exclusivités tout en améliorant son offre de service. De cette manière, et de cette manière seulement, sa réponse à Microsoft sera véritablement efficace.
Commentaires 1