À l’occasion du festival Ready Players qui se tenait cette semaine au Forum des Images à Paris, Playstation Inside a assisté à une conférence autour du jeu Sifu pendant laquelle une partie de l’équipe de développement revenait sur les références cinématographiques et culturelles du jeu, quelques jours seulement avant sa sortie. L’occasion d’en apprendre un peu plus sur les choix esthétiques du titre autant que sur sa philosophie de gameplay et sur ses personnages principaux.
Ce vendredi 4 février 2022, PlayStation Inside était invité au Forum des Images de Paris à l’occasion de la toute première édition du festival Ready Players qui se tenait du 2 au 6 février 2022. Au programme de cet évènement entièrement dédié au jeu vidéo : du retrogaming, des rencontres avec des créateurs, un game concert, des tournois, une game-jam, des installations interactives, des démonstrations de jeux et bien d’autres activités pensées avant-tout pour les joueurs et les joueuses.
Parmi toutes ces activités, nous avons eu la chance d’assister à une rencontre avec les équipes de développement de chez Sloclap pour une grande discussion et une avant-première de leur jeu Sifu à paraître le 8 février 2022. En présence de Jordan Layani (co-fondateur et directeur de création), Pierre Tarno (co-fondateur et directeur général), Paul-Emile Boucher (directeur artistique) et Benjamin Colussi (consultant en arts-martiaux sur le jeu), la séance animée par le rédacteur en chef du journal Première, Gaël Golhen, dévoilait les inspirations cinématographiques et culturelles du titre et apportait des précisions sur les techniques employées pour faire du joueur un acteur de son propre film de kung-fu.
Quand vieillesse ne rime pas avec faiblesse
On le sait depuis un long moment maintenant, Sifu est construit autour d’un système de vieillissement novateur : à chaque mort, le personnage-joueur prend de l’âge jusqu’à ce qu’il devienne trop vieux pour se relever, amenant ainsi au game-over. Si les morts à répétition rapprochent le joueur de la fin de la partie, elle sont également autant d’occasions de réessayer instantanément en ayant conscience des erreurs à corriger.
Cette mécanique traduit l’envie du studio Sloclap d’utiliser la philosophie du kung-fu comme une base créative plus qu’une simple méthode de placement sur le marché du jeu vidéo, selon les mots employés par Pierre Tarno. En chinois, les termes « kung 功 » et « fu 夫 » renvoient respectivement à la maitrise, au perfectionnement ainsi qu’à la technique. Autrement dit, le kung-fu se définit par la maitrise d’une discipline dans le temps et peut s’appliquer à différents domaines. Celui ou celle qui possède le kung-fu dans son domaine possède un savoir-faire et une technique exemplaires qui lui confèrent une grande efficacité.
Le vieillissement du personnage symbolise donc le perfectionnement dans le temps et s’accompagne – en plus d’une plus grande maitrise côté joueur – d’un gain de puissance en jeu au profit d’une vitalité qui décroit au fil des morts. Visuellement, le vieillissement passe par la pousse et le blanchiment des cheveux du personnage-joueur, féminin ou masculin, ainsi que par un allongement de ses manches, en plus des modifications faciales. Les équipes rappellent que le joueur voit principalement son personnage de dos et qu’il fallait à cet égard proposer une façon de représenter visuellement le vieillissement autrement que par les rides ou la barbe.


Les boss de Sifu : entre quête de vengeance et philosophie chinoise
Au cours de la conférence, nous en apprenions également davantage sur les boss du jeu ; au nombre de cinq, ils seront chacun inspirés d’un élément de la cosmologie chinoise parmi le bois, la terre, le feu, l’eau et le métal.
Sans rentrer dans les détails, il faut bien comprendre que, dans la tradition chinoise, ces cinq éléments – que l’on pourrait plus justement qualifier de mouvements – traduisent plus qu’une matière. Ils sont en effet à la base d’une théorie, la théorie Wu Xing, qui permet la classification des phénomènes naturels en tenant compte de leurs propriétés dynamiques. Ainsi l’eau est associée au processus d’écoulement, le feu à la combustion et la terre à l’agriculture. Ensemble, ces cinq mouvements constituent un système de correspondances complexe à la base de la pensée chinoise. Dans Sifu, les boss représenteront ces mouvements qu’ils viendront pervertir en même temps que la pensée chinoise toute entière ; ils symboliseront une forme de déséquilibre entre les mouvements.
En plus de cette source d’inspiration culturelle, les développeurs ont partagé quelques sources d’inspiration cinématographiques pour les boss. L’un d’entre eux s’inspire notamment du personnage de manga Lady Snowblood mis en scène par Toshiya Fujita en 1973 dans le film Lady Snowblood. Plus précisément, c’est le caractère bipolaire de la vengeresse qui sera repris en jeu pour un combat qui s’annonce dores et déjà redoutable. On citera également le personnage de Prakoso, issu du film The Raid 2 (Gareth Evans, 2014), qui inspira les développeurs de par son apparence, son acharnement et sa bestialité.


Enfin, les développeurs ont également mentionné la très célèbre serie Kill Bill de Quentin Tarantino au rang des inspirations. L’organisation criminelle de l’antagoniste Bill, le Détachement International des Vipères Assassines, sert ici de modèle aux boss par sa structure en plus d’être un modèle scénaristique puisque, dans le film comme dans Sifu, le personnage principal poursuit une quête de vengeance envers celles et ceux qui ont assassiné un ou plusieurs de ses proches.

Un hommage visuel aux films d’arts martiaux
Selon Jordan Layani, il y a derrière Sifu une volonté d’approfondir ce qui avait déjà été fait sur Absolver – le premier jeu du studio sorti en 2017 – en termes de mise en scène et de références cinématographiques et culturelles. En grand passionné d’arts martiaux et pratiquant du kung-fu avec Benjamin Colussi, Jordan Layani souhaitait montrer un kung-fu authentique au sein d’une ambiance visuelle inspirée par les films qui lui tiennent à cœur.
Parmi les références citées, on retiendra notamment le film The Grandmaster réalisé par Wong Kar Wai et sorti en 2013. Selon les développeurs, le film a eu un impact considérable sur l’ambiance visuelle générale du jeu ainsi que sur sa tonalité. L’image projetée lors de la conférence montrait Yip Man – ancien mentor de Bruce Lee également connu sous le nom de Ip Man – habillé d’un long manteau noir, en plein combat sous une pluie torrentielle dans une ambiance de film noir saisissante.

Le très célèbre Old Boy (2003) de Park Chan-wook est également représenté dans Sifu puisqu’il fait office de source d’inspiration privilégiée pour l’expérience donnée au joueur. Déjà à l’époque, le film lui-même montrait des signes de remédiation vidéoludique, notamment au travers de l’une de ses plus célèbres séquences au cours de laquelle le personnage principal enchaîne les coups sur ses adversaires en vue de côté à la manière d’un beat them all. Aujourd’hui, Sifu reprend à son tour l’œuvre de Park Chan-wook dans sa mise en scène des combats spectaculaire et dynamique. Le suivi des mouvements est un régal pour les yeux et nul doute que cela apportera une réelle plus-value en termes de feedback et de sensations de jeu. Pendant la conférence, il nous a d’ailleurs été montré une séquence en vue de côté directement reprise de Old Boy. Un très bel exemple de dialogue réussi entre cinéma et jeu vidéo !

Pour designer leur personnage principal, les développeurs se sont inspirés de la tenue de Donnie Yen dans le film Ip Man (Wilson Yip) de 2008, mais également de la légende du kung-fu Bruce Lee pour les mouvements et l’attitude. Il est à noter que le joueur aura le choix entre deux versions du personnage principal, l’une masculine et l’autre féminine, cette dernière étant directement adaptée du personnage masculin.
D’autres références plus occidentales viendront également enrichir l’univers de Sifu. C’est le cas notamment du 007 Spectre (2015) de Sam Mendes qui aurait inspiré les équipes dans sa scène d’introduction du grand méchant du film, mais également du film Collateral (Michael Mann, 2004) avec Tom Cruise dont le traitement numérique des lumières de la ville novateur pour l’époque a servi de référence pour une séquence du jeu en termes de diffusion de la lumière.



Enfin, les développeurs sont brièvement revenus sur tout le travail effectué en ce qui concerne la mise en jeu des œuvres cités mais également des documents historiques consultés. Pour retranscrire au mieux les ambiances souhaitées et donner la sensation au joueur d’être l’acteur principal de son propre film d’arts martiaux, les développeurs se sont rendus dans plusieurs lieux véritables afin de capter un ressenti de leurs ambiances visuelles, sonores et spirituelles. Il était très important pour eux de respecter la cohérence du feng-shui et Benjamin Colussi a pour cela effectué un gros travail de consulting en tant qu’expert sur la question. Aussi, les développeurs nous ont rappelé que le jeu montrera deux facettes de la culture asiatique en associant les références modernes à des traditions culturelles chinoises : une première facette du jeu sera d’avantage moderne et urbaine tandis qu’une seconde penchera vers une ambiance traditionnelle et mystique.
Pour rappel, Sifu faisait partie de la liste des jeux les plus attendus en 2022 par le Washington Post aux côtés de Elden Ring, Hogwarts Legacy ou encore God of War : Ragnarok. À la rédaction, nous avons évidemment hâte de poser nos mains sur le titre, d’autant plus après cette conférence passionnante, et nous reviendrons très prochainement sur le jeu à l’occasion de notre grand test à ne pas manquer !