Avec l’explosion des coûts de développement des jeux dits AAA (à budget très élevé), il est rare qu’une nouvelle licence de jeu vidéo soit pensée pour être un one-shot. Les studios préfèrent généralement se tourner vers une formule plus rassurante, leur permettant d’amortir les coûts de production grâce à des licences à suites. Cela peut cependant amener certaines équipes à se perdre en cours de route, à cause d’une pression constante de toujours devoir faire plus beau, plus grand, plus fou.
Deux cas de figures existent. Dans le premier cas, l’équipe arrive à ne pas se reposer sur ses lauriers et enchaîne les succès critiques et commerciaux. Dans le second cas, elle n’arrive pas à se renouveler et sa licence perd petit à petit en popularité, jusqu’au moment où le studio doit en annuler les suites.
Ce dossier va s’intéresser à la suite d’une célèbre licence qui n’est pas encore officialisée, mais dont l’existence ne fait aucun doute : Marvel’s Spider-Man 2.
Avant d’entrer dans le vif du sujet, faisons un court voyage dans le passé afin de revenir sur le développement du jeu précédent, Marvel’s Spider-Man.
TOC, TOC…
En 2014, la branche jeu vidéo de Marvel, nommée « Marvel Games », a pour objectif de sortir un jeu de super-héros très ambitieux. Elle décide de se tourner vers Sony Interactive Entertainment. La firme nippone accepte très vite, voyant ici une belle opportunité de s’associer à l’une des entreprises majeures du monde du divertissement.
L’accord trouvé, il fallait trouver le studio de développement. Mais il y a un problème : tous les studios internes de Sony étaient pris en 2014. La seule solution était de collaborer avec un prestataire externe. Ce genre de collaboration n’est pas toujours évidente, car ça demande aux entreprises d’avoir une confiance mutuelle. Sony a l’avantage d’avoir tissé, au cours de son histoire, de nombreux liens avec différentes sociétés de développement. C’est ainsi que le choix se dirige vers Insomniac Games, studio avec lequel ils ont créé des licences devenues célèbres depuis (Spyro et Ratchet and Clank).
C’est à eux que PlayStation proposera donc l’idée de travailler sur un jeu Marvel. Sony précise au studio qu’ils auront carte blanche pour choisir le personnage. À ce moment-là, producteur chez Insomniac Games, Bryan Inthiar demande un temps de réflexion à Sony.
Finalement, la réponse ne se fait pas attendre bien longtemps. Très vite aussi, le dévolu est jeté sur le personnage de Spider-Man.
LES JEUX SPIDER-MAN, UNE LONGUE HISTOIRE
Le jeu d’Insomniac Games sera révélé pour la toute première fois deux ans plus tard, lors de la conférence PlayStation à l’E3 2016. Jusque-là, beaucoup d’œuvres mettant en avant le tisseur étaient déjà sorties, que ce soit des titres adaptant les projets cinématographiques, mais aussi d’autres s’en détachant entièrement. La plupart du temps, ces derniers ressemblaient plus à des produits sans âme qu’à des productions sérieuses…
Au vu des précédents projets mettant en scène l’araignée, l’inquiétude sur celui d’Insomniac était légitime. Cependant, au fil des mois, l’intérêt des joueurs pour le titre commença à grimper pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, Insomniac Games et Sony précisent que le jeu ne sera pas une simple adaptation du film Spider-Man Homecoming et ne sera pas non plus rattaché à des histoires déjà narrées de l’homme araignée.
Le second élément rassurant est la place importante du titre dans la communication officielle de PlayStation entre 2016 et 2018. Marvel’s Spider-Man a été montré durant trois conférences E3 consécutives. Seulement, il n’a pas juste été « montré », mais a été choisi comme « One more thing » aux E3 2017 et 2018 avec de longues séquences de gameplay, ce qui témoignait déjà de la grande confiance mise par Sony dans le travail du studio.
UN « AMAZING » SUCCÈS MAIS…
Le 7 septembre 2018, l’araignée tisse enfin sa toile. Les produits Spider-Man ont tendance à bien se vendre en général, peu importe le secteur d’activité… Cependant, personne ne s’attendait à un tel succès pour le jeu. En seulement trois jours, le titre s’écoule à plus de 3,3 millions d’exemplaires. Cela en fait l’exclusivité PlayStation réalisant le meilleur lancement de tous les temps (record battu depuis par The Last Of Us Part 2 et ses 4 millions d’exemplaires en trois jours également).
En plus d’être un succès commercial, le jeu est un succès critique. La presse et les joueurs sont unanimes pour dire que Marvel’s Spider-Man est l’une des meilleures productions mettant en scène l’homme araignée. Pourtant, le jeu souffre de plusieurs maux peu mis en avant par les deux parties.
Comme beaucoup de jeux sur la décennie passée, Marvel’s Spider-Man est un monde ouvert. Tisser sa toile dans Manhattan a toujours eu un côté jouissif. C’est encore plus le cas dans cet épisode où Insomniac Games a rendu une copie quasi parfaite avec son système de balancement. On ne s’est jamais autant senti Spider-Man que dans ce titre.
Le bât blesse surtout dans la gestion du monde ouvert, un peu trop classique. On y retrouve des collectibles à ramasser à la pelle, des quêtes annexes répétitives ainsi que des camps à nettoyer à foison. Les mondes ouverts développés de cette façon sont de plus en plus difficiles à accepter pour deux raisons :
- La sortie de The Witcher 3 en 2015, qui a révolutionné la façon de créer un monde ouvert. Adieu les quêtes annexes soporifiques et/ou fedex et bienvenue aux quêtes secondaires permettant de développer de nombreux personnages, au point même de déstabiliser le joueur, ce dernier n’étant même plus sûr d’être dans une quête secondaire ou en train d’avancer la quête principale.
- La sortie de Zelda Breath of The Wild en 2017, qui a permis aux joueurs de se sentir pour la première fois complétement libres dans un monde ouvert. Aucune restriction n’est imposée et la physique générale du jeu permet à chaque joueur d’expérimenter à l’infini.
Ces deux titres ont révolutionné la façon d’appréhender le monde ouvert au cours de ces dernières années. Malheureusement pour lui, Marvel’s Spider-Man ne s’en est pas beaucoup inspiré et se contente du minimum syndical dans la façon d’élaborer son New-York, pourtant sublime techniquement.
ON PREND « PRESQUE » LE MÊME SPIDER-MAN ET ON RECOMMENCE…
Même si Marvel’s Spider-Man n’a pas révolutionné l’industrie dans la façon de construire son monde ouvert, il n’en reste pas moins un très bon jeu par son histoire et son gameplay. Par la suite, l’énorme succès commercial du titre met la puce à l’oreille de Sony. Au fil des années, Insomniac Games a été un partenaire de travail solide. De Spyro le dragon à Spider-Man, le studio n’a jamais déçu et a marqué l’histoire de PlayStation.
Après des années de collaboration et une confiance mutuelle, Sony décide donc de les racheter pour la somme de 209 millions d’euros, afin que ces derniers rejoignent officiellement les « PlayStation Studios » Le rachat effectué, il restait peu de doute sur la probabilité de voir arriver un second opus des aventures du tisseur de toile. Seulement, on ne pensait pas que ce serait aussi rapide.
Le 11 juin 2020, Sony organise une conférence pour présenter ses futurs jeux PS5. Les spéculations sont nombreuses. La presse et le public ne savent pas quels jeux seront annoncés, même si l’on pouvait facilement imaginer quelques titres tels que la suite d’Horizon : Zero Dawn ou celle de God of War.
L’une des plus grosses surprises de la conférence sera Marvel’s Spider-Man : Miles Morales. Encore plus surprenant, le jeu est prévu pour sortir à peine quelques mois après son annonce. Beaucoup de questions fusent à ce moment là dans l’esprit des joueurs. Est-ce la suite de Marvel’s Spider Man ? Aussi vite ?
Insomniac clarifiera la situation en expliquant que ce n’était pas la suite directe des aventures de Peter Parker mais un standalone dédié à Miles Morales, qui accompagnera le lancement de la PS5.
Le 19 novembre, le titre débarque donc dans nos salons. Il est plutôt bien reçu par la presse et les joueurs. C’est assez logique ; le jeu reprend tous les ingrédients de son prédécesseur. On y retrouve Miles Morales, jeune afro-américain se voyant confier la tache de protéger New York et ses habitants en l’absence de Peter Parker.
L’histoire du jeu est agréable à suivre. Miles est un personnage extrêmement attachant et dispose de compétences inédites le différenciant de son homologue. De la même façon, il a ses propres mouvements lorsqu’il se balance dans les rues de Manhattan ; un Manhattan recouvert de neige cette fois-ci.
Malheureusement, il y a un gros point noir au tableau de ce Spider-Man Miles Morales. Il souffre, comme le jeu précédent, de lacunes incontestables dans sa façon de traiter son open-world. On y retrouve toujours des quêtes annexes peu intéressantes qui rappellent encore et encore les tâches fastidieuses à accomplir des jeux Spider-Man de l’époque PS2. De plus, alors que New-York occupe une grande place dans la vie des Spider-Men, recouvrir la ville de neige dans ce standalone n’est pas vraiment une plus-value. Certes, la neige apporte un plus esthétique indéniable, mais cela reste très artificiel.
Hormis ce détail météorologique, la ville est exactement la même que dans le jeu précédent. Malgré tout, se balader de toile en toile dans la grosse pomme est toujours aussi plaisant. Le problème concerne la redondance générale du titre, qui manque de surprises.
Entendons-nous bien, tous les jeux vidéo n’ont pas vocation à révolutionner leur genre à chaque épisode. Cependant, apporter quelques nouveautés d’un opus à l’autre est vivement recommandé. C’est le piège dans lequel est tombée la licence Assassin’s Creed au milieu de la décennie précédente. À force de sorties annuelles régulières, la saga s’est emprisonnée dans une routine qui lui a coûté très cher, au point qu’Ubisoft dut la mettre en stand-by pour la renouveler.
Cela deviendra-t-il le cas pour Spider-Man ? Pas encore, mais attention tout de même. La stagnation du monde ouvert entre les deux premiers titres commence déjà à se faire ressentir. Les aventures de Peter et Miles par la suite ont en plus de grandes chances de se passer de nouveau à New-York, car c’est l’essence même des deux personnages.
Pour parer cela, le studio pourrait tenter d’amener les deux hommes araignées à faire leur valise, afin de leur faire découvrir de nouveaux horizons. Cependant, les films du MCU ont déjà tenté l’expérience pour un résultat assez médiocre. Très peu de villes dans le monde offrent une si grande verticalité que New-York, ce qui retire instantanément le fun du balancement d’immeuble en immeuble.
À CHAQUE PROBLÈME SA SOLUTION
Depuis plusieurs semaines, votre « friendly neighborhood » rédacteur réfléchit à des axes d’améliorations pour la suite des aventures de Spider-Man. La rédaction de PlayStation Inside se permet de lancer des pistes, dans l’espoir d’avoir une suite digne de ce nom et non pas un simple Marvel’s Spider-Man 1.6. Les voici :
- Faire évoluer la géographie du monde ouvert
New-York, bien qu’extrêmement importante dans la mythologie de Spider-Man, ne doit plus être le seul terrain de jeu des tisseurs. Il est temps pour Insomniac de voir plus grand.
En effet, les jeux Spider-Man n’ont pas toujours été en monde ouvert. Certains des meilleurs titres de l’araignée font d’ailleurs partie de ceux ne proposant aucune liberté d’action dans New-York.
Le jeu « Spider-Man », développé par Neversoft sur PS1, ainsi que « Spider-Man : Dimension » et « Spider-Man : Aux frontières du temps » (produits par Beenox sur PS3 et Xbox 360) sont des jeux d’action-aventure se découpant en niveaux. Dans ces œuvres, aucune trace de monde ouvert. Le joueur incarne le personnage dans des lieux plus ou moins vastes, mais qui restent délimités.
On pourrait penser que cela gâche le potentiel arachnéen du tisseur, mais ce n’est étrangement pas le cas. Plutôt que de perdre leurs publics dans un monde ouvert avec X choses à faire, ces titres se concentrent sur la narration et font partie des meilleures histoires originales de l’homme araignée. Réussir une association entre monde ouvert et nouvelles zones de jeux plus restreintes est une base de réflexion intéressante pour Marvel’s Spider-Man 2. Nous aurions ainsi le meilleur des deux mondes.
D’un côté, New-York serait présente et le joueur aurait toujours la possibilité de virevolter d’immeuble en immeuble durant une bonne partie de l’aventure. De l’autre, nous pourrions découvrir de nouveaux lieux. Prenons un exemple tout simple. Peter pourrait très bien avoir l’obligation de quitter New-York quelques jours afin de résoudre un problème important. Cela permettrait aux joueurs de quitter la grosse pomme durant quelques minutes (heures ?). De cette façon, Insomniac romprait la lassitude de voir encore et toujours les mêmes décors. New-York n’est certes pas désagréable à l’œil, mais voir la même ville pendant plus de cinquante heures consécutives (si l’on prend en compte les jeux précédents) est beaucoup trop redondant.
Nous pourrions même aller plus loin et s’imaginer Peter et Miles explorant des lieux emblématiques de l’univers Marvel. À la différence des droits cinématographiques concernant le MCU, Marvel Games possède en effet l’entièreté des droits Marvel. Si ces derniers veulent offrir à Insomniac une liberté totale d’action, rien ne les en empêche.
- Donner une seconde jeunesse au gameplay
Le second axe d’amélioration concerne la jouabilité au sein de l’open-world. Comme nous l’avons vu précédemment, même si le studio californien doit apporter un vent de fraicheur, garder New-York en tant que terrain de jeu pour son monde ouvert reste pertinent. Pour autant il ne faut pas que cela les empêche d’y apporter des petites nouveautés.
Il serait intéressant de revoir le système de balancement. Insomniac pourrait sortir le joueur de sa zone de confort, lui réapprendre à se balader dans la ville, afin que tout ne lui soit pas servi sur un plateau dès le début du jeu. Quoi de mieux pour ça que d’utiliser les fonctionnalités de la DualSense ?
Dans le jeu Astro’s Playroom, nous avons eu un aperçu des nombreuses possibilités de cette manette. Dans la suite de Spiderman, nous pourrions donc imaginer des conditions climatiques en temps réel qui changeraient la donne. Par exemple, il serait beaucoup moins aisé de se balancer par temps venteux et nous le ressentirions grâce aux vibrations de la manette. Nous pensons aussi à un retour de force plus intense sur les gâchettes adaptatives par temps pluvieux, pour être sûr que la toile de Spider-Man adhère bien aux immeubles. La DualSense pourrait ainsi clairement être un atout indéniable dans la façon de se déplacer. Espérons qu’Insomniac en prendra conscience.
- Installer Miles Morales au cœur de l’histoire
La question se pose quant à la place de Miles dans la suite de la franchise. Nous savons déjà que l’histoire sera plus centrée autour de Peter, mais cela ne doit pas empêcher l’araignée d’Harlem d’avoir un rôle important dans le second opus. Le joueur aura t-il la possibilité d’incarner les deux héros ? Encore mieux même, ne pourrait-on pas retrouver un système à la GTA V, où trois personnages étaient jouables et interchangeables à volonté. Cela pourrait être le cas entre les deux Spider-Man, qui pour rappel ont des mouvements complétement différents. En plus d’un système de balancement repensé, pouvoir varier entre les deux styles d’acrobaties serait une arme supplémentaire pour casser la répétitivité au sein du monde ouvert.
- Enrichir le contenu du monde ouvert
Il reste maintenant un dernier point extrêmement important à aborder. Pour modifier la structure du monde ouvert et renouveler l’expérience du joueur, il y a plusieurs solutions, dont celle que nous évoquions précédemment. Mais il faudra aussi corriger l’un des plus gros défaut des deux jeux précédents : le contenu de l’open-world.
La franchise ne pourra pas se contenter de rajouter à nouveau de simples collectibles (inutiles au possible). Elle ne pourra pas non plus seulement recréer une boucle de crimes aléatoire que Spider-Man devra empêcher éternellement. Il ne faudrait pourtant pas grand chose au studio pour supprimer ces défauts et c’est sans doute cela le plus frustrant.
Avec Batman, Spider-Man fait partie des super-héros ayant le plus grand lore dans l’histoire des comics. Plutôt que de remplir la carte de contenu superficiel, il suffirait à Insomniac de puiser dans ce puits infini de création, afin de créer des quêtes secondaires intéressantes. Scénaristiquement, cela pourrait même être amené avec le travail de Mary-Jane, journaliste au Daily Bugle. Peter pourrait très bien enquêter sur différents faits divers publiés par MJ. Dans les titres précédents, nous ne rencontrions que trop peu d’ennemis emblématiques tirées des comics. Un potentiel clairement trop sous-exploité pour le moment.
Soyons clair, nous ne demandons pas à Marvel’s Spider-Man 2 d’avoir une durée de vie de plus de 80h comme The Witcher 3, mais juste de s’en inspirer sur l’écriture de ses missions. Il lui suffirait simplement de quelques quêtes annexes marquantes, mettant en œuvre de grands antagonistes de l’araignée. Suivre les péripéties de nos tisseurs via des quêtes secondaires finement écrites serait bien plus plus agréable que de ramasser à nouveau 30 sacs à dos.
ENTRE ATTENTES ET CRAINTES
Insomniac Games a frappé un grand coup avec son Marvel’s Spider-Man premier du nom. Malgré les défauts évoqués ci-dessus, ils ont réussi à en faire l’un des meilleurs jeux sur l’homme araignée, le propulsant même du côté des exclusivités les plus vendues chez PlayStation. Il faudra maintenant confirmer l’essai.
Espérons que le studio ne tombera pas dans la facilité et fera tout son possible afin de rendre le second volet aussi intéressant que le premier. Avec Marvel’s Spider-Man, les équipes ont été très audacieuses concernant la quête principale en proposant une conclusion inédite. Nous ne pouvons que souhaiter au studio d’avoir la même audace pour la suite et de ne pas se reposer sur ses lauriers. Il serait dommage qu’une telle licence se voie doter de jeux moyens à nouveau.
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