« Nous croyons aux générations ». Cette déclaration de Jim Ryan n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd. Et un an plus tard, elle contredit pour beaucoup d’entre vous la stratégie de PlayStation, qui semble avoir du mal à se détacher de sa PS4. Mais est-ce réellement surprenant ? Et dans le fond, est-ce réellement une si mauvaise stratégie ?
NB : cet édito est l’opinion du rédacteur Mérouan Goumiri et ne reflète pas forcément celle de l’ensemble de la rédaction de PlayStation Inside.
La cross-gen, entre « mensonge »…
Vous n’avez pas pu passer à côté. A l’image de Spider-Man: Miles Morales au lancement de la PS5, Horizon: Forbidden West, Gran Turismo 7 ainsi que le prochain épisode de God of War, arriveront également sur PS4 au moment de leur sortie. Nous l’avons constaté, auprès de notre communauté ces choix n’ont pas fait l’unanimité. Et nous en comprenons bien évidemment les raisons et les arguments, certains remettant en question la nécessité de disposer d’une PS5 en 2021 et ce, jusqu’en 2022. Mais avant cela, essayons de comprendre l’origine de ce mécontentement.
Mai 2020, GamesIndustry publiait une interview aux côtés de Jim Ryan dans laquelle le président de Sony Interactive Entertainment laissait ouvertement entendre que la PS5, à l’inverse de ses concurrentes proposées par Microsoft, provoquerait une cassure avec la précédente génération. Sony semblait à ce moment-là vouloir éviter tout amalgame entre ses deux plateformes. Et la déclaration de Jim Ryan ne laissait alors pas de place au moindre doute… enfin quoique :
Nous avons toujours dit que nous croyons aux générations. Nous pensons que lorsque vous vous donnez la peine de créer une console nouvelle génération, elle devrait inclure des fonctionnalités et des avantages que la génération précédente ne dispose pas. Et ça, selon nous, les gens doivent créer des jeux qui peuvent tirer le meilleur parti de ces fonctionnalités.
Nous croyons aux générations et, qu’il s’agisse de la DualSense, de l’audio 3D, des multiples façons d’utiliser le SSD… Nous pensons qu’il est temps de donner à la communauté PlayStation quelque chose de nouveau, quelque chose de différent, qui ne peut vraiment être apprécié que sur PS5
Jim Ryan – GamesIndustry
Si Jim Ryan précise bien croire aux générations, et que les jeux doivent selon lui tirer le meilleur parti de la nouvelle console, le détail de ses propos concerne davantage les fonctionnalités plutôt que les jeux à proprement parler : le SSD, l’audio 3D ou encore la DualSense, comme il le citait déjà à cette époque. Attention, je ne donne pas raison aux déclarations de Jim Ryan qui conservent malgré tout une certaine ambiguïté. PlayStation aurait dû dès le départ faire preuve de transparence et être clair en précisant bien, sans laisser place au doute et à l’interprétation, que certains titres first-party débarqueraient simultanément sur PS4 et PS5. D’autant que dans le cas de Gran Turismo 7, celui-ci était bien initialement annoncé comme une exclusivité PS5. Un changement de position pour le moins étrange, mais qui, selon Andy Robinson de VGC, ne serait survenu que récemment, sans doute lié à la crise du COVID-19. L’homme précise cela dit que les versions PS4 des prochains Horizon et God of War étaient de toute évidence prévues dès le départ, mais qu’elles auraient volontairement été tenues secrètes le plus longtemps possible par Sony. Une communication bancale qui, à un moment ou un autre, a tenue à cacher certains éléments importants à ses joueurs, sans doute pour les inciter rapidement à faire la bascule vers la PlayStation 5. Une décision qui se retourne aujourd’hui fatalement contre le constructeur.
Pour autant, selon mon interprétation des déclarations de Jim Ryan un peu plus haut, la cross-gen ne contredit pas totalement ses propos, qui parlaient alors des fonctionnalités propres à la PS5. En effet, les premiers titres sortis sur la dernière console de Sony, disponibles également sur PS4, font usage des spécificités de la neuvième génération. C’est le cas de Marvel’s Spider-Man: Miles Morales qui est une réussite sur le plan visuel et propose même du Ray-Tracing et du 60 FPS, de Sackboy: A Big Adventure faisant très bon usage de la DualSense ou encore plus récemment de Resident Evil Village, du côté des jeux éditeurs tiers, qui tire pleinement profit du SSD et de l’audio 3D. Des promesses, il faut le dire, globalement tenues, même s’il faudra bien évidemment le constater sur la durée au fil des productions.
D’autant qu’en parallèle, tout cela n’a pas empêché le constructeur de déjà nous proposer des exclusivités propres à la PS5, dont Astro’s Playroom (qui est certes avant tout une démo), Demon’s Souls, Returnal ou encore très prochainement Ratchet and Clank: Rift Apart. Donc n’est-ce pas là finalement le meilleur compromis pouvant être adopté par le constructeur japonais ?
… et nécessité
Avec plus de 115 millions d’unités vendues à travers la planète, la PS4 est le deuxième plus grand succès de Sony dans le monde des consoles. Si la cassure générationnelle fait partie du cycle habituel, il est malgré tout, d’un point de vue purement économique, pertinent de vouloir s’assurer une sécurité, ne serait-ce que le temps que la transition s’opère. Fracturer un marché aussi important et aussi soudainement, particulièrement en période de pénurie pour la PS5, serait relativement risqué pour PlayStation.
Il y a quelques mois sur PlayStation Inside, je vous proposais le dossier suivant : La PS5 peut-elle surpasser les succès de la PS4 ? Dans ce dossier, au-delà de tenter répondre à la question, c’était surtout l’occasion de revenir sur l’impact de la console de huitième génération, et sur le tournant qu’elle a marqué dans l’histoire du constructeur. Ventes, ludothèque exclusive et stratégie globale, la PS4 a grandement façonné le destin de la PS5. Bien plus que la PS3 n’avait façonné (dans le bon sens) celui de la PS4, qui avait dû alors repenser grand nombre d’éléments de sa philosophie, pour justement éviter de reproduire les erreurs du passé.
En résumé, la PS5 est une héritière directe de sa grande sœur et marche entièrement sur ses pas. Il me semble donc logique que, à court terme bien entendu, Sony continue de proposer certaines de ses grosses cartouches sur les deux plateformes. Horizon: Zero Dawn étant une nouvelle licence qui a vu le jour sur PS4 et God of War ayant de nouveau rencontré le succès grâce à un soft-reboot en 2018, également sur PS4, Sony a noué un lien fort et particulier avec ses joueurs sur la huitième génération. Les suites respectives de ces deux licences arrivant dès le début d’une nouvelle ère, dans un contexte où tout le monde ne peut pas se procurer de PS5, en faire des titres cross-gen se défend amplement. Surtout qu’encore une fois, Sony parvient au milieu de ces titres cross-gen, à proposer dans son calendrier des jeux exclusifs à sa dernière console.
L’importance des graphismes
Bien évidemment, l’argument de la cross-gen n’a pas une durée illimitée dans le temps. S’il me semble pertinent, sur une durée d’environ un an et demi voire deux ans grand maximum, viendra un moment ou la PS4 deviendra réellement un frein pour les développements de nouvelle génération. Mais ce moment n’est à mon sens pas encore arrivé.
Vous le savez sans doute, lors des changements de génération habituels, les « claques graphiques » ne surviennent généralement qu’entre la deuxième et troisième année de vie de la console. De son côté, la PS4 n’a démontré ses réelles capacités qu’à partir de 2016, soit deux ans et demi après son lancement : Uncharted 4 en mai 2016, Horizon: Zero Dawn en mars 2017, Uncharted: The Lost Legacy en août, God of War en avril 2018 et Marvel’s Spider-Man en septembre. The Last of Us Part II n’ayant vu le jour qu’en juin 2020. Ce n’est qu’en milieu de génération que les studios peuvent réellement libérer leur potentiel et tirer profit de la plus-value d’une console, en exploitant au mieux ses capacités graphiques et ses fonctionnalités propres. Nous pourrions également citer les plus beaux jeux exclusifs de la PS3 qui ne sont arrivés que deux ans et demi après son lancement (voire trois en se basant sur l’arrivée de la PS3 au Japon) : Uncharted 2 en 2009, God of War 3 et Heavy Rain en 2010, Unchated 3 en 2011 ou encore The Last of Us en toute fin de vie, en juin 2013.
Chez Sony, et ce depuis de nombreuses années, le visuel a toujours joué un rôle majeur dans leurs productions. A l’image de la narration, il s’agit d’un des ingrédients constituant aujourd’hui la ligne éditoriale du constructeur. C’est pourquoi j’estime que cette décision de la cross-gen ne peut pas avoir été prise à la légère. Et comme l’a déjà prouvé Marvel’s Spider-Man: Miles Morales au lancement de la console, God of War Ragnarok, Gran Turismo 7 et même Horizon: Forbidden West, dont nous avons d’ailleurs pu découvrir une jolie séquence de gameplay, devraient proposer des versions PS5 à la hauteur de nos attentes sur cette génération. La question sera plutôt de voir comment ces titres tourneront sur une PS4 de 2013, même si celle-ci ne semble pas avoir dit son dernier mot.
Alors, la cross-gen ?
Attention à ne pas faire du cas Cyberpunk 2077 une généralité. Si bien évidemment il peut arriver que la cross-gen soit un frein au développement de certains jeux, il existe aujourd’hui plein de contre-exemples, certains cités dans cet édito (les éditeurs tiers en profitent d’ailleurs pendant quelques mois à chaque début de génération). Avec le succès de la PS4 et de ses exclusivités, et le problème de stocks rencontré par la PS5, il me semble légitime de la part de Sony de vouloir assurer ses arrières. Il est d’ailleurs important de rappeler que si ces jeux arrivent aussi rapidement dans la vie de la PS5, c’est justement parce que leur développement a pu être entamé sur PS4, bien avant que les studios ne disposent des kits PS5. Et en cela, à moins d’attendre encore plusieurs années pour en profiter, il m’apparait d’autant plus évident de proposer des sorties multiplateformes en ce début de génération. Même si encore une fois, les prises de paroles de Sony ont réellement manqué de transparence, pouvant induire en erreur de nombreux joueurs. Et il est ici important de bien distinguer l’erreur de communication de la cross-gen à proprement parler, dont il est ici question.
Pour autant, et là est le but initial de la cross-gen, celle-ci ne doit pas s’étendre sur plusieurs années. En 2022, Sony proposera Gran Turismo 7 et le prochain God of War, mais ils devraient être les derniers à sortir également sur PS4 (j’entends parmi les titres first-party majeurs). Naughty Dog, Sucker Punch, Media Molecule ou encore Bend Studio (qui travaille sur une toute nouvelle licence) ayant proposé des titres en fin de génération PS4, doivent sans doute désormais œuvrer exclusivement sur des titres PS5. C’est d’ailleurs déjà le cas d’Insomniac Games avec le prochain épisode de Ratchet and Clank, et on imagine que ce sera également le cas d’un potentiel Marvel’s Spider-Man 2. N’oublions pas également qu’en parallèle du prochain God of War, Santa Monica Studio travaille sur une nouvelle licence qui sera sans doute exclusive à la PS5.
Vous connaissez désormais mon opinion sur la question. Mais maintenant, c’est à vous de jouer. N’hésitez pas à partager l’ensemble de vos avis et arguments avec nous sur nos réseaux afin d’en débattre tous ensemble.
Merci Mérouan pour ton brillant édito, je partage en tout point de vue ton analyse.
Merci beaucoup Lyonel pour ton mot.