En 2013 sortait The Last of Us. La première aventure de Joel et Ellie a été un véritable raz de marée critique et commercial, qui a permis au studio Naughty Dog de s’emparer du titre de roi des jeux solos narratifs. En moins de dix ans d’existence, la licence est devenue incontournable dans l’industrie vidéoludique. En un sens, elle représente la quintessence de ce que doit être un jeu vidéo solo à gros budget. La sortie du chef-d’œuvre The Last Of Us Part II en 2020, qui a pris grand soin de réduire en miettes le cœur des joueurs avec son aventure éprouvante et dépressive, a démontré une nouvelle fois la maîtrise absolue de Neil Druckmann et de ses équipes. Les critiques ont été malheureusement moins unanimes, car de nombreux joueurs ont eu du mal à accepter certains choix de la part du studio américain. Il était donc important de trouver un moyen de redorer le blason de la licence auprès de ceux qui ont pu se sentir trahis par l’âpreté du second opus. L’aura immaculée du premier épisode a permis la mise en chantier d’un retour fracassant de ce jeu mythique, qui est rebaptisé pour l’occasion The Last of Us Part I. L’annonce du projet a entraîné de nombreux débats sur son utilité, surtout quand son prix de 80 euros a été communiqué. Tout cela n’empêche pas le titre d’être bel et bien là, et de nous donner l’occasion de revivre le parcours de Joel et Ellie dans la plus belle version de leur histoire.
On prend les mêmes et on reconstruit
Entrons directement dans le vif du sujet : The Last Of Us Part I n’est pas une révolution. Ce n’est pas un remake qui réinterprète complètement l’œuvre d’origine. La démarche est moins renversante que celle que nous avons pu observer sur les remakes de Resident Evil 2 ou de Final Fantasy VII. L’approche est similaire à celle du remake de Demon’s Souls (originellement sorti sur PlayStation 3 en 2009 au Japon), ayant accompagné le lancement de la PS5. Il s’agit là d’un jeu en tout point fidèle à son modèle, dont il suit le déroulé à la lettre. Il ne se permet aucune fantaisie, et reprend tous les éléments de l’original, à la virgule près. N’espérez donc pas découvrir de nouveaux segments scénaristiques, ou de nouveaux environnements.
C’est avec un plaisir non dissimulé que nous retrouvons néanmoins Joel et Ellie au cours de leur voyage à travers une Amérique entièrement ravagée par une pandémie, ainsi que par la folie des hommes. L’écriture de The Last of Us n’a pas pris une ride, et demeure d’une incroyable justesse. L’introduction du jeu est toujours déchirante et nous plonge directement dans le bain. Les premières minutes adressent au joueur un véritable uppercut. Loin des aventures colorées de Nathan Drake, cette entrée en matière nous fait comprendre que nous allons découvrir un univers mature et impitoyable. The Last Of Us Part I impose, grâce à sa technique impressionnante, une ambition émotionnelle d’une authenticité folle. Voir à nouveau Ellie et Joel se lier, face à ce monde sans pitié qui veut leur peau, procure ainsi des émotions décuplées.
L’une des forces majeures de l’aventure qui nous est proposée est sa direction artistique. Chaque lieu a sa propre identité, et regorge de petits détails uniques qui donnent la sensation de traverser un endroit où il y avait autrefois de la vie. La méticulosité de Naughty Dog dans la conception de chaque environnement visité était déjà l’une des grandes forces de The Last Of Us lors de sa sortie sur PlayStation 3 en 2013. Cette refonte graphique intégrale permet de hisser la narration environnementale, caractéristique de la licence, à des niveaux de perfection rarement égalés. Rien n’a été laissé au hasard, le moindre détail sert la cohérence de cet univers. Il n’y a rien de plus déprimant que d’arpenter ce qui fut autrefois un appartement familial et d’observer les détails trahissant la vie qui remplissaient ce lieu de joie. Nos yeux se posent sur les photos de famille, sur les noms des livres qui ornent la bibliothèque, sur les discrets dessins d’enfants sur les murs, et malheureusement sur les gouttes de sang séché autour du berceau d’un nouveau-né.
La colorimétrie de l’œuvre est différente de celle du modèle original. Nous disons donc au revoir à l’aspect chaud et coloré de la version de 2013, qui tirait parfois sur le rendu un brin cartoonesque d’Uncharted. Cette nouvelle mouture se veut plus froide et réaliste, reprenant l’aspect terne et morose de The Last Of Us Part II. Ce changement de colorimétrie, en apparence anodin, permet de confirmer que l’ajout de la mention Part I dans le titre n’est pas uniquement marketing, et que le but est bien de créer un pont parfait entre les deux œuvres. Le travail fourni est à des années-lumière de ce qui avait été fait sur la version PlayStation 4 sortie en 2014. Nous ne sommes pas face à un simple lissage des textures accompagné d’un meilleur framerate. C’est une reconstruction graphique et physique totale du monument de Naughty Dog.
Une claque technique et artistique
The Last Of Us Part I impressionne par sa beauté graphique. Nous ne devrions pourtant pas être surpris, étant donné que Naughty Dog est passé maître dans l’art d’émerveiller nos rétines. La différence avec son modèle d’origine est flagrante, ce qui permet d’affirmer que la campagne marketing autour du « Rebuilt from the ground up » est justifiée. C’est tout simplement l’un des plus beaux jeux actuels. Sur bien des aspects, il surpasse même le deuxième opus. Joel, Ellie et tous les compagnons qui croisent leur route n’ont jamais paru aussi réels que dans cette nouvelle version. La qualité des animations faciales et corporelles est bluffante. Les hommes de Druckmann ont pourtant utilisé les mêmes fichiers de motion capture qu’en 2013, mais ils se sont servis de la technologie actuelle pour coller au plus proche des performances des acteurs. Nous pouvons percevoir la moindre mimique, la crispation des visages ou des muscles. Un mouvement de lèvre, des joues qui rougissent et un simple regard peuvent trahir une déception ou un amour profond envers un autre personnage. Les longs échanges entre personnages sont ainsi magnifiés, au même titre que leurs silences.
Cette revisite du chef-d’œuvre ne propose aucun nouvel environnement, mais la redécouverte des ruines de notre civilisation est saisissante. Le travail de reconstruction est tellement incroyable que nous avons parfois l’impression de découvrir de nouveaux lieux alors qu’il n’en est rien. Si nous faisons des comparatifs détaillés, nous remarquerons que certains meubles ne sont pas au même endroit, que certains comptoirs de commerces sont plus profonds, ou que les modèles utilisés pour quelques meubles ont été modifiés. Ce sont les seuls changements. La ville de Jackson a été quelque peu remodelée pour que ce que nous apercevons au loin corresponde à la ville parcourue au début de la suite. Cette illusion, malgré des changements si minimes, est rendue possible, car tout est plus beau que jamais.
Il y a un autre élément qui tire son épingle du jeu : la gestion de la lumière et des reflets. Que nous soyons dans une phase de gameplay ou devant une cinématique, les effets de lumières sont juste saisissants et contribuent à magnifier l’atmosphère unique de la licence de PlayStation. Chaque plan du jeu est un véritable tableau de maître. Il y a peu de choses aussi grisantes que les émotions provoquées par un coucher de soleil, ou par les effets de lumières passant à travers les feuilles d’un arbre, ou les planches d’une fenêtre barricadée. Aux particules de poussières qui flottent dans l’air et révélées par la lumière, ajoutez les notes de guitare de l’incroyable partition musicale de Gustavo Santaolalla, et vous obtenez une poésie visuelle et sonore qui marque au fer rouge.
Comme souvent avec les jeux actuels, l’aventure peut se vivre via deux modes graphiques différents. Le mode Performance, afin de profiter des 60 fps stables en 4K dynamique, et Fidélité pour pouvoir jouer en 4K native, mais avec un framerate quelquefois instable. Autre point particulièrement appréciable pour le rythme du récit : les transitions entre les cinématiques, désormais faites avec le moteur ingame, et le gameplay.
Cependant, si cette Part I est irréprochable dans la forme, les autres aspects de cette nouvelle version du mythe sont plus légers, et agitent déjà de nombreuses discussions.
Une reconstruction qui sent le recyclage
Si la reconstruction graphique est époustouflante, il faut tout de même souligner que tout le reste est inchangé. Le level design conserve son classicisme d’origine, et ne reprend aucun des éléments qui apportaient de la verticalité sur The Last Of Us Part II. Les mécaniques de combat et d’infiltration n’ont pas été modifiées, simplement fluidifiées. C’est d’ailleurs le point le plus dommageable de cette nouvelle mouture. Nous comprenons parfaitement qu’il était impossible d’apporter des fonctionnalités comme le fait de ramper, de s’allonger sur le dos, ou de se hisser sur le moindre grillage, sans revoir la structure de l’aventure. Toutefois, certaines choses avaient largement leur place, sans risquer de casser l’équilibre du game design. Nous pensons notamment à la possibilité d’esquiver les attaques des ennemis. Si nous pouvions faire sans en 2013, le manque de cette fonctionnalité se fait particulièrement ressentir en 2022. Le deuxième opus de la saga nous a habitués à certains standards de gameplay dont il est désormais difficile de se passer.
De sa suite, The Last of Us Part I ne reprend finalement que peu d’éléments. L’interface utilisateur a été entièrement modifiée et est désormais identique à celle du second épisode. Les différentes actions contextuelles à accomplir sont beaucoup plus discrètes et moins invasives que dans la version de 2013. Paradoxalement, elles sont moins compliquées à repérer grâce à des indications sonores plus prononcées. L’animation du personnage, lorsque nous améliorons nos armes sur les établis, a été entièrement calquée sur ce que propose la Part II. Cela renforce l’immersion, mais c’est le genre d’ajouts dispensables qui a certainement demandé du temps et qui nous fait regretter encore plus l’absence d’éléments nouveaux plus pertinents.
L’intelligence artificielle du titre est retravaillée, mais cela reste très léger. Nous sommes très loin du chamboulement annoncé. Afin d’éprouver l’IA de manière concluante, la première run sur laquelle ce test a été effectué était en difficulté Survivant. Nous pouvons donc dire qu’Ellie, ainsi que les autres compagnons d’aventure, sont véritablement utiles. Ils sont capables de tuer nos ennemis, aussi bien au corps-à-corps qu’avec des armes à feu. Ils peuvent nous venir en aide si un ennemi nous attrape. Ils n’hésiteront pas à nous indiquer la présence d’un opposant qui aurait pu échapper à notre attention. La vraie nouveauté réside dans leur capacité à mieux anticiper les mouvements des ennemis durant les phases d’infiltration. Bien que nos compagnons soient indétectables lors de ces moments, il était parfois déconcertant de les voir courir dans tous les sens sans jamais alerter nos ennemis. Ce n’est pas encore parfait, mais cela n’arrive presque plus. L’IA ennemie est aussi sidérante qu’avant. Elle est méchante, agressive, réagit si vous tombez à court de munition, cherche à vous déloger. Elle se montre même plus vicieuse, et n’hésite pas à vous attirer vers un point précis lors d’un affrontement afin de mieux vous coincer.
La DualSense est exploitée, mais trop peu pour que nous puissions parler d’un élément qui change complètement l’expérience. Il est très plaisant de sentir une résistance lorsque nous dégainons notre arme et que nous nous apprêtons à faire feu. Le petit clic que nous ressentons lorsque Joel range son arme dans son holster est également satisfaisant, mais les sensations lors des coups de feu ne sont pas plus organiques. Cela n’est pas un défaut, car le ressenti des combats dans l’original était déjà viscéral, mais il est regrettable que la technologie haptique ne soit pas plus exploitée. L’effet de la pluie qui tapote sur le sol est cependant bien retranscrit via les vibrations de la manette. À bien des égards, les ajouts de ce remake soufflent le chaud et le froid.
Un contenu riche et inclusif
Si la principale raison de la ressortie de The Last Of Us premier du nom est de toucher un nouveau public, afin d’ouvrir la voie à la série télévisée qui débutera sur HBO au début 2023, le studio californien n’oublie pas les fans de la première heure. De ce côté-là, cette Part I est irréprochable et riche en contenus annexes. L’offre s’adresse à tous les profils de joueurs. Si vous souhaitez revivre ou découvrir l’aventure sans pression, les modes normaux et faciles sont là pour vous. Si vous connaissez déjà l’aventure par cœur, ou que vous vous sentez naturellement l’âme d’un survivant, vous pourrez commencer la partie en réaliste. Pour les plus accros à la performance, les modes Speedrun et Permadeath sont également disponibles. Ce dernier mode demande de finir le périple sans mourir. Toutefois, afin de rendre la tâche un peu moins compliquée, il est possible de paramétrer ce mode par chapitre pour ne pas avoir à recommencer depuis le début du jeu.
Toujours dans l’optique de plaire aux amoureux de la licence, il est possible d’acheter depuis le menu Bonus, avec des points obtenus en jouant, des images et des modèles 3D inédits des personnages. Il y a également des modèles alternatifs à débloquer, comme les apparences de nos héros dans la Part II. Un nouveau mode photo est également de la partie, afin d’immortaliser de bien des façons les nombreux moments qui ne manqueront pas de vous émerveiller. Pour ceux désirant en apprendre davantage sur les coulisses de la création du jeu, de nombreux podcasts officiels sur le jeu sont disponibles, et il est possible de vivre l’aventure avec les commentaires de Neil Druckmann, Troy Baker et Ashley Williams durant les cinématiques.
Dans la continuité de ce que Naughty Dog avait déjà fait avec le deuxième opus de la licence, cette Part I pense aux joueurs atteints de handicaps. Nous avons certainement le blockbuster le plus accessible aujourd’hui, toutes plateformes confondues. Il est par exemple possible de faire ressortir par un jeu de couleur les éléments avec lesquels interagir, personnages comme objets, dans un environnement dont les couleurs sont, a contrario, désaturées. Toutes les cinématiques de The Last of Us Part I sont disponibles en audiodescription, et ce dans toutes les langues proposées. C’est par le biais de ces options d’accessibilité que la DualSense impressionne le plus. Elle peut restituer, à l’aide de vibrations synchronisées, les paroles prononcées par les personnages, afin d’aider les personnes malentendantes à tout de même percevoir le rythme et les intonations des voix.
Le grand absent est le mode multijoueur qui nous avait pourtant régalé en 2013. Si son absence s’explique par l’arrivée d’un futur stand alone multijoueur en ligne, sa suppression pure et simple du contenu du jeu est peu défendable. L’extension solo Left Behind est heureusement de la partie, même si nous regrettons qu’aucun effort n’ait été fait pour l’intégrer directement au déroulé de l’aventure principale. Pour y accéder, il faut donc repasser par le menu. Cette décision rejoint les autres choix qui flirtent avec une fâcheuse tendance du studio à trop se reposer sur ses lauriers, et tranchent avec le travail d’orfèvre accompli sur d’autres éléments du jeu.
CONCLUSION
The Last Of Us Part I
Noter The Last Of Us Part I est un exercice compliqué, presque dérangeant. De nombreux débats accompagnent la sortie de cette nouvelle édition, qui fut un temps synonyme de bouquet final pour la PlayStation 3. Avons-nous là une version qui sublime entièrement son modèle ? Indubitablement. Malgré les années, et certains défauts qui ressortent plus en 2022 qu’en 2013, est-il toujours supérieur à la quasi-totalité des grosses productions solos narratives actuelles ? La réponse est oui, sans l’ombre d’un doute. Enfin, notons-nous le travail des artistes de chez Naughty Dog ou la politique commerciale de PlayStation ? Le prix est une donnée fluctuante, alors que la qualité de l’œuvre est intemporelle. Non, il ne mérite pas 80 euros d’investissement de la part de quelqu’un qui a déjà arpenté l’aventure. La démarche n’est pas irréprochable, et il est délicat d’en parler sans faire preuve de contradiction. Il n’en reste pas moins que The Last Of Us est encore un monument que nous vous encourageons à découvrir ou redécouvrir. L’émerveillement que procure cette nouvelle version va de pair avec l’impression mitigée qui se dégage parfois de l’absence de fond de ce travail de reconstruction. Cette ambivalence constitue en quelque sorte le prix de l’amour pour cette œuvre transcendée qui nous touche en plein cœur. Dans plusieurs années, nous aurons tous oublié ces débats qui ne concernent en rien la valeur artistique du jeu. Tout ce que nous retiendrons, c’est la beauté du lien filial qui se crée entre ce père et cette fille de substitution au cours d’un périple initiatique.
LES PLUS +
- Des graphismes époustouflants
- Des personnages plus vivants que jamais
- De nombreux bonus
- Une narration parfaite
- Un rythme maîtrisé
- Une narration environnementale de haut niveau
- Des affrontements viscéraux
- Un bel exemple d'accessibilité
- Une fin d'anthologie
LES MOINS -
- Un game design qui fait parfois son âge
- L'absence des esquives
- Devoir lancer Left Behind depuis le menu principal
- Le prix, trop cher (quoiqu'on oubliera vite ce défaut)
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