L’offre et la demande, chaque société y voit midi à sa porte. Si dans l’entertainment, « l’économie de l’attention » est un vrai sujet, il est toujours fascinant de voir comment les marques procèdent pour qu’on aille plus chez elles que chez le voisin. Dans une ère de plus en plus dématérialisée où les monstres de la SVOD (de Netflix à Disney+) nous attirent à coup de recommandations toujours plus astucieuses, nous faisant croire que l’offre est presque désignée pour nous, qu’en est-il du jeu vidéo ? Surtout, où en est Sony dans cette équation, en 2021 ? Et de quelle manière la firme semble-t-elle envisager la suite ? Après un retour (nécessaire) dans le passé, nous nous pencherons sur le présent en lorgnant forcément un peu sur l’avenir…
Un peu d’histoire dématérialisée
En décembre 1994, la PlayStation (première du nom) était lancée. Presque douze ans après, c’est le PlayStation Network qui ouvrait ses portes, précisément le 11 novembre 2006. Devinez quoi… Non, nous n’allons pas parler du médiocre match opposant Auxerre à Bordeaux selon Le Monde mais bien du lancement japonais de la PS3 le même jour. Lancement effectué dans une certaine confusion, toujours selon Le Monde. Le terme est bien choisi : retards dans la production (tiens tiens, ça peut rappeler une autre époque nettement plus proche de nous, même si les raisons ne sont pas similaires…), mise à jour pour le jeu en réseau réalisée quasi à la volette, marché des consoles en recul sur l’archipel. Bref, fabriquer une console ne suffit plus, les utilisateurs veulent désormais une platine multimédia sous leur écran plasma. Sony a compris ceci. Et la PS3 débarque armée (mais trop onéreuse en Europe à sa sortie) d’un excellent lecteur blu-ray et d’une offre dématérialisée. Que de la nouveauté ! Peut-être même trop ou trop tôt…
Si notre but n’est pas d’écrire l’histoire de cette machine, son interface, et tout particulièrement un des éléments majeurs, vont retenir notre attention : le PlayStation Store. Il faut savoir qu’il était intégré d’office dans la bête, mais à une nuance près, sous forme de page web à laquelle on accédait depuis le (lent) navigateur de la PS3. Nous verrons qu’il a grandement évolué, dans l’esthétique comme dans l’ergonomie générale, pour notre plus grand bonheur !
Aux États-Unis, c’est seulement deux jeux qui « ornaient » le catalogue numérique à ses tout débuts : le shoot ’em up Blast Factor de Bluepoint Games (développeurs du remake PS5 de Demon’s Souls, récemment) en collaboration avec Santa Monica puis Cash Guns Chaos du studio Daybreak Game Company. Vous ne connaissez pas ces titres ? Rien d’inquiétant. L’ajournement européen de six mois nous a au moins permis de démarrer avec un catalogue plus attractif incluant notamment flOw du aujourd’hui célèbre studio thatgamecompany (Journey et Flower). Pour condenser, on retiendra que dès 2006, le PlayStation Network chamboulait déjà nos habitudes avec du « vrai » jeu en réseau (pas aussi stable et performant que chez le concurrent direct, mais gratuit sur PS3, PSP et PS Vita). Et avec sa boutique dématérialisée (le PlayStation Store) qui sera incorporée dès 2008 dans l’interface de la PS3 et non plus sur une vulgaire page web. Il était temps, même si à en analyser la capture ci-dessous, nous étions encore loin de savourer l’épure de l’interface PS4.
Nous pourrions continuer de vous détailler dans ce dossier bon nombre de services liés au PlayStation Network. Dès fin 2008, le PlayStation Home, cet espace communautaire si singulier dans l’écosystème Sony, ouvrait ses portes à tous. Mais il y aura forcément une ou plusieurs occasions d’en parler bien mieux, ailleurs, car le sujet du jour concerne d’une manière générale l’offre dématérialisée de la firme japonaise. Si nous avons pu découvrir ensemble les premiers pas du PlayStation Store, le moment est venu de plonger en chute libre dans le royaume des abonnements payants. Appelons à la barre le PlayStation Plus.
C’est donc en juin 2010 que le nouveau service de Sony est lancé. Avis aux « fans » qui ont souscrit un an pour 49,99 € ou trois mois pour 17,99 € avant le 3 août 2011, sachez qu’une copie gratuite de Little Big Planet leur était donnée. En tout cas, ce que nous voyons, c’est qu’en plus de dix ans désormais, le service très généreux de nos jours (offrant Days Gone, Control Ultimate Edition et Final Fantasy VII Remake en ce début d’année 2021 par exemple) n’a augmenté que de dix maigres euros. Le tarif est désormais de 59,99 € par an (avec des promotions le ramenant parfois à 45 €, il s’agit d’être sur le pont, comme on dit dans l’équipe) ou de 24,99 € par trimestre et enfin de 8,99 € si vous préférez être prélevé mensuellement (et vous auriez tort cette fois). On comprend donc que l’option annuelle est clairement à privilégier mais aussi que la hausse sur cette dernière n’est pas si choquante, au regard de la générosité de PlayStation sur les titres offerts chaque mois. Au nombre de trois ou quatre, nous ne savons pas ce qu’il en est de votre côté, mais chez nous, disons qu’il faut bien 30 jours afin de pouvoir les découvrir tous. Et depuis le lancement de la PS5, hormis la « salve » de mai un peut timide (on devient des enfants gâtés, forcément…), force est d’avouer que Sony surpasse Microsoft et son service Xbox Live Gold qui n’a plus grand chose de gold quand on voit la sélection de jeux offerts ces derniers mois. Nous nous permettons cet affront, si vous jugez qu’il en est un, car nous n’avons pas plus tôt hésité à signaler que la firme de Redmond avait (et a encore, dans une moindre mesure) l’avantage sur la stabilité des serveurs et la qualité du jeu en ligne.
Ce qu’il faut voir, c’est qu’en dehors du prix que nous avons pris le temps d’aborder, le PlayStation Plus n’a cessé d’évoluer. En 2010, une époque où ce genre de services n’était pas forcément vu du bon œil, Sony devait absolument trouver de quoi donner envie aux joueurs de souscrire. Et cela pouvait passer par des fonctionnalités exclusives au PS+ qui feraient grincer quelques dents aujourd’hui. Par exemple, les mises à jour automatiques (de la console ou des jeux) en arrière-plan n’étaient envisageables que pour les membres du service… Les autres n’avaient qu’à attendre pendant les longs téléchargements. Aujourd’hui, ne pas pouvoir jouer à un jeu de notre ludothèque pendant une mise à jour nous semblerait absurde, tout simplement. En mars 2011, Sony fait un beau pas en avant en ajoutant les sauvegardes dans le cloud à son service premium. Sachez que celles-ci sont bien utiles, et surtout très utilisées depuis. Une excellente et rassurante fonctionnalité en cas de panne de disque dur sur une machine notamment, pour s’éviter de recommencer Demon’s Souls à la force du mental (affaibli après un tel coup…).
Ce n’est qu’à l’E3 2012, deux ans après le démarrage du PS+, que Sony décide de revoir la formule, loin d’être convaincante aux yeux de trop de joueurs, certainement. Chaque mois, des jeux de la gamme minis étaient « offerts », de même qu’un classique de la PlayStation 1 et qu’un titre PS3. Ce n’était clairement pas suffisant pour attirer sur la durée, encore moins pour commencer à créer la communauté qui réunit aujourd’hui 47,6 millions de membres (au 31 mars 2021, du moins). Heureusement, en juin 2012 après un nouveau temps de parole on stage, Sony amorce le virage sous le nom « Instant game collection« . Loin d’être figée, la formule devient déjà plus généreuse en gardant les avatars PSN gratuits, les réductions exclusives et les tests de jeux. Mais surtout en instaurant un système avec toujours un jeu offert par mois auquel viennent s’ajouter des titres récupérables pendant trois mois ou encore trois autres sur une période de douze mois. Trop complexe ? Sans doute. Mais l’essentiel, c’est qu’il y a du beau et gros jeu à se mettre sous la dent : inFamous 2 (sorti tout juste un an avant et déjà offert), LBP 2, Saints Row 2, Deus Ex, Resident Evil 5 et on ne peut qu’en passer…
Sans vous proposer un historique précis du PlayStation Plus, cela en deviendrait indigeste dans le cadre d’un dossier, notez que le service a tout de même ajouté dès décembre 2013 un titre PS4 dans le coffre mensuel. Avant de simplifier sa formule suite à l’E3 édition 2014 où les abonnés avaient désormais le droit à minimum deux titres par plateforme et par mois. L’offre dématérialisée devenait massive pour les membres (chanceux) ayant à disposition PS3, PS Vita et PlayStation 4 puisqu’ils profitaient de six, voire sept jeux à (idéalement) lancer sous trente jours pour éviter de se noyer dans son backlog au fil du temps et des jeux « prévus pour plus tard ». Un point important puisque l’offre physique et dématérialisée n’a jamais été aussi riche qu’elle l’est ne en 2021. Il nous semble difficile, si ce n’est impossible, de s’ennuyer « vidéoludiquement » parlant.
Vous noterez qu’en quasi un an, d’avril 2020 à mars 2021, le service a gagné plus de six millions d’utilisateurs ou devrait-on dire, d’abonnés. C’est colossal, sachant que l’on pourrait se dire qu’avec 1 000 jeux offerts depuis le lancement, c’est normal que les gens veuillent les récupérer en 2021. Sauf que…non, ce n’est pas si simple et avantageux.
En lançant l’Instant game collection dont nous avons parlé juste avant, que nous appelons dans notre cher pays « Jeux du mois », il faut comprendre par là que les mots ont un sens. La temporalité est bien figée. C’est-à-dire que vous avez trente jours, parfois un peu plus, mais cela reste assez court pour récupérer les titres du moment. Donc si vous comptiez vous abonner en 2020 et récupérer dix ans de productions vidéoludiques, c’est mort. Sachez, de plus, qu’il est nécessaire de rester abonné pour pouvoir jouer aux titres récupérés la semaine, le mois ou l’année d’avant. En effet, une fois récupérés, le membre PS+ garde ses jeux « à vie », mais il doit rester abonné ou se réabonner pour ne serait-ce que lancer l’un des titres acquis via les avantages du PlayStation Plus. Cela reste donc un service de jeu par abonnement, avec le double inconvénient de ne pas pouvoir jouer à des jeux récupérés en étant pourtant abonné le mois où ceux-ci étaient « offerts » (là où Microsoft le permet) mais aussi sans pouvoir jouer aux jeux des mois précédents si vous n’étiez pas abonné. Nous ne sommes donc pas face à un Netflix du jeu vidéo, très loin de là. Même si, attendez…
Un ciel nuageux avec de belles éclaircies…
Ce n’est pas une vision de fan… Après avoir « offert » des jeux PS1, PS3, PS4, Vita, d’autres dédiés au PlayStation VR ou encore à la famille et aux moments conviviaux (avec la gamme PlayLink), voilà qu’une nouvelle branche vient de sortir sur l’arbre PlayStation Plus. Sony parle de « Collection » pour insuffler l’idée de permanence cette fois, l’idée que peu importe quand vous vous abonnerez, il y aura toujours une petite vingtaine de chefs d’œuvre (bien que cela reste éminemment subjectif) à télécharger sur votre PS5. Mais exclusivement sur celle-ci, là réside la limite. Une limite qui, si l’on réfléchit bien, se transforme en argument massue pour tout nouveau joueur de l’écosystème PlayStation. Imaginez que nous n’ayez pas eu de PS4 par exemple, comment ne pas s’abonner au PS+ dans la minute qui suit l’unboxing de votre nouvelle machine rutilante qui n’attend que des gros titres comme ceux affichés juste au-dessus pour s’épanouir. Puis, philosophiquement, l’idée est intéressante. Tout joueur PS5 gagne à découvrir la génération passée, car c’est l’identité des exclusivités PlayStation qu’il faut goûter et embrasser (entre autres jeux) de tout cœur avant de pouvoir s’extasier devant God of War Ragnarok, Horizon Forbidden West ou même Resident Evil Village. Bref, cette question d’identité est l’un des points-clés pour comprendre la marque PlayStation d’hier mais avant tout et surtout, d’aujourd’hui comme de demain !
Avant de refermer le chapitre du PS+, nous nous devons de rappeler que si le service rassemble près de 50 millions de membres (comme Sony aime à les appeler), c’est aussi en grande partie à cause ou grâce au jeu online qui est devenu une option payante sur PS4. Et la coutume a été préservée sur PS5 où il faut être abonné pour partager un match de foot ou un « match à mort » aux quatre coins du globe. Et cela pour, officiellement du moins, permettre à la firme japonaise d’avoir un réseau stable et des services en ligne compétitifs, disons. Oui, car nous ne l’avons pas abordé mais l’an 2011 (et 2014, de manière moins violente) fut marqué par un piratage massif entraînant quelques milliards de dollars de perte pour Sony, des données volées (noms, adresses, factures, mots de passe, …) et les services du PlayStation Network indisponibles du 20 avril au 16 mai. Certes, cela dépasse le champ du PlayStation Plus, mais faire payer le jeu en ligne permet aussi sans doute de renforcer la sécurité et la stabilité des services made in Sony. Entre autres volontés, évidemment…
Faisons un bond dans le temps, à reculons, pour tomber en 2014 : non, nous n’allons pas vous parler de la loi sur l’économie sociale et solidaire, mais bien du PlayStation Now. Après avoir racheté Gaikai pour 380 millions deux ans plus tôt, Sony n’a pas perdu de temps pour lancer la bêta ouverte de son services aux USA et au Canada puis en Europe un an après, en 2015. Et comme le PlayStation Plus que nous avons balayé de long en large, nous pouvons d’ores et déjà vous dire que le PlayStation Now a bien changé depuis sa sortie. L’idée de base est très bien exposée sur l’image ci-dessus, c’est-à-dire, une plateforme par abonnement permettant de jouer à un catalogue de jeux PS3/PS4 en streaming sur de nombreux écrans (PlayStation TV, PS Vita, téléviseurs Sony Bravia, PC Windows, PS4, …).
Dans la même année (fin 2014) est né le « share play » sur PS4, que l’on peut aussi retrouver illustré avec une belle statistique : deux millions de sessions « share-playées » en un an pour le géant du ballon rond, FIFA. Cela se traduit concrètement par deux millions de sessions où des joueurs ont décidé de partager leur écran avec un ami ou membre de la communauté PlayStation. Jusqu’à peut-être même leur donner le contrôle, virtuellement, à distance. Une fonctionnalité de partage assez dingue à l’époque, qui le reste d’ailleurs, puisqu’elle a perduré et vous permet de goûter aux joies de la PS5 via votre PS4 et la générosité d’un ami. C’est quand même assez fou de pouvoir confier le contrôle et l’affichage d’un jeu à une manette qui se trouve peut-être à 800 kilomètres de la console streamée, puisque c’est ça qu’il se passe, très concrètement.
Malheureusement, il faut bien revenir au PS Now, et force est de constater que si ce dernier pouvait laisser rêveurs les joueurs, ces derniers ont vite déchanté. Là où on est en droit d’attendre un service qualitatif accessible à tous, les limites techniques nous surprennent immédiatement. Car si un utilisateur de Netflix ou Prime Video dispose d’une connexion ADSL « de campagne » (rien de péjoratif, l’expression est utilisée par facilité), et trépigne d’impatience pour la venue quasi christique de la fibre optique, il pourra tout de même se délecter des programmes sans trop de heurts. Au pire du pire, il verra Stranger Things en 720p quand d’autres se régaleront en 4K, mais l’accès restera envisageable. Dans le monde du streaming de jeux, tant désiré par SIE, les nuages s’assombrissent vite. Car le même utilisateur ne pourra tout simplement pas jouer dans des conditions (parfois) juste acceptables. La latence entre son action et sa réalisation à l’écran peut devenir trop importante, au point que cela en devient injouable sur des FPS par exemple. Et on voit rapidement les limites du cloud gaming à l’échelle de pays qui quoi qu’on en dise, subissent encore une trop grande fracture numérique.
Une fois ce bilan bien subi et constaté, PlayStation n’a pas attendu pour agir : dès septembre 2018, la marque offre la possibilité de télécharger sur PS4 (puis PS5 depuis peu) une sélection de jeux PS2 et PS4 (mais pas PS3, pourquoi ?) au lieu de les streamer. Cela ouvre enfin la porte aux toutes petites connexions (qui mettront cependant 48h à télécharger 40 gigaoctets, mais que voulez-vous, c’est leur lot…) en permettant aux joueurs bien équipés de profiter d’une qualité technique enfin irréprochable : 4K, mixage en surround 5.1. Car au-delà des petites connexions, ce n’est sans doute pas pour rien si Microsoft avec son Game Pass a d’office priorisé le téléchargement. C’était avant tout pour préserver la qualité du support physique, tout en permettant à une immense majorité de joueurs de craquer sur l’abonnement. Et ce n’est que depuis peu que la firme de Redmond pousse sa solution Xbox Cloud Gaming.
Disons-le tout de suite, ils ont eu raison d’attendre. PlayStation a clairement payé les pots cassés et continue de ramer après avoir rayé la Vita, les TV et la PS3 de ses supports compatibles… Au final, la solution de cloud gaming signée Sony semble avoir un retard fou sur une concurrence qui s’est pourtant lancée bien après. Le catalogue est « immense » : 700 jeux. Le prix (enfin !) raisonnable, à 59,99€ les douze mois. Mais les plateformes compatibles restent limitées : PS4, PS5 et PC Windows. D’ailleurs, annonce qui semble totalement hors du temps (bercé par les 120 images par secondes et les flaques d’eau en raytracing) : le flux streamé proposé via le PS Now passe du 720p au 1080p seulement. Sans blague, à l’heure de la 4K et d’une PS5 compatible 8K, cela flirte avec l’anachronisme. En tout cas, sachez que depuis fin avril, les jeux présents sur le service passent progressivement en Full HD, ce qui semble un minimum pour les joueurs souhaitant découvrir The Last of Us ou Bloodborne sur leur PC portable. Car certaines exclusivités restent jouables sur cette plateforme uniquement via le PlayStation Now, ce qui risque de ne pas durer à en croire ce papier ou encore celui-ci.
Néanmoins, avec un service lancé dans de plus en plus de pays (19 à ce jour) qu’on sent en constante évolution, on ne peut imaginer que PlayStation va rester sur un succès aussi limité. Totalisant 2,2 millions d’abonnés (en mai 2020, la donne a peut-être changé en un an), on reste loin des plus de 22 millions d’abonnés au Game Pass. Et cela s’explique aussi par une différence majeure et essentielle entre les deux services : les jeux.
Si riche soit le catalogue du PS Now, qui est un excellent complément au PS+ par exemple, il n’a pas le force première du Game Pass, celle des exclus. Ces jeux qui chez la concurrence sortent en day one sur le service. Imaginez deux secondes si Netflix sortait un service alternatif 30% moins cher disons, mais qui ne recevrait qu’une maigre parties des série du moment et qui recyclerait les vieilles productions de la société californienne. Probablement que peu de gens y seraient abonnés, préférant la fraîcheur et le privilège d’y goûter « en premier ». C’est un peu de cette manière que l’on peut voir le PS Now… Un service avec d’excellents titres, sans toutefois la fraîcheur et l’attrait de la nouveauté.
Maintenant, essayez de visualiser un PS Now 2.0, 60% plus cher mais incluant toutes les productions labellisées PlayStation Studios dès leur jour de sortie… Ah, ce serait bien différent, très certainement (spéculons) qu’on pourrait sans mal ajouter quelques millions d’utilisateurs au moment de faire les comptes. Mais ce serait aussi aller contre une philosophie qui balance entre l’ouverture, le « beau geste » puis le monopole et l’envie d’avancer en protégeant leur « culture de l’exclusivité ».
Dissension dématérialisée
Ces derniers temps, si nous notons donc une amélioration chez la plupart des services en ligne de PlayStation, un évènement a terni l’image de la marque avant que Sony n’en rétropédale, pour finalement se repositionner sur un créneau acceptable.
Cette « dissension » est la récente histoire des stores dématérialisés qui devaient fermer leurs portes cet été sur PS3, PS Vita et PSP. Puis, rétropédalage, près d’un mois après l’annonce très douloureuse pour les amoureux de notre médium. En fait, par les mots de Jim Ryan (CEO de Sony Interactive Entertainment), la branche JV de Sony avoue avoir pris une mauvaise décision. Seul le store de la PSP sera fermé le 2 juillet 2021, ne permettant plus aux joueurs d’acheter des jeux et DLC dans leur version numérique. C’est déjà un bout de patrimoine vidéoludique qui prend en coup par le nez, mais Sony n’a pas réalisé son dessein. C’était trop tôt, trop chaud. Est-ce que d’ailleurs, il y aura un temps pour cela ? Quand que ce soit… Pour la suppression, l’éradication, la création d’une rareté dématérialisée là où ce mot nous a toujours promis l’infini à portée de manette, clavier ou télécommande.
Je suis heureux que nous puissions garder cette partie de notre histoire vivante pour que les joueurs puissent en profiter, tout en continuant à créer de nouveaux univers de jeu de pointe pour PS4, PS5 et la prochaine génération de VR.
Jim Ryan – tiré du PlayStation Blog (traduit de l’anglais)
C’est aussi la dure réalité derrière l’illusion que se créée tout consommateur. En fait, on oublie facilement qu’il y a des serveurs pour soutenir la charge, pour nous offrir l’impossible, l’expérience transparente en un sens. Mais sachez que les propos de Jim Ryan ne tiendront sans doute qu’un temps et qu’il faudra probablement, dans deux ou dix ans, fermer des stores. Faire de la place pour l’avenir, un avenir toujours plus énergivore avec des titres qui atteignent les 200 Go. Des titres qui s’arrêteront où ? Quand ?
Le scandale autour de cette fermeture de stores ne manque pas de rappeler, également, le concept assez fascinant de propriété. Les joueurs ont grogné, à juste titre pour l’aspect patrimonial mais aussi par peur de perdre ce qui ne les intéresse parfois pas. Du moins, absolument pas en priorité. Combien sont ceux ayant râlé de la disparition de près de 150 jeux des circuits sans même les connaître, sans y être attachés, sans s’y intéresser ? On est tous plus ou moins dans ce cas, lorsqu’on aime le jeu vidéo… On aimerait jouer à tout et savoir que grâce au numérique, tout est à notre portée. Pourtant, ce n’est que mirage et cela rejoint une autre limite de toute offre dématérialisée, son incomplétude. De nombreux chercheurs ont d’ailleurs écrit et continuent d’écrire sur cette question. Voici par exemple une problématique à laquelle Sony est déjà confronté et le sera de plus en plus…si l’on en croit le créateur de God of War, David Jaffe, qui a teasé une réponse prochaine de la firme japonaise au Game Pass.
L’efficacité de la recommandation personnalisée repose sur le fait qu’elle permet de résoudre le paradoxe de l’incomplétude de l’offre, c’est-à-dire de la finitude des catalogues face à la promesse d’une offre numérique illimitée. En effet, bien que les discours marketing développés autour du lancement des services de vidéos numériques à partir des années 2000 aient promu l’idée que les consommateurs allaient avoir accès à tous les contenus les intéressant, au moment et à l’endroit qu’ils souhaitaient, paradoxalement, les offres de vidéos à la demande, et notamment celles sur abonnement, sont construites sur des catalogues de droits limités (en raison de la concurrence, d’accords partiels avec les détenteurs des droits, des logiques d’exclusivité, de certaines réglementations, etc.). Dès lors, la recommandation personnalisée limite l’attention et la recherche du consommateur aux seules préférences correspondant aux droits détenus par l’opérateur du dispositif.
Farchy, Méadel, et Anciaux, « Une question de comportement. Recommandation des contenus audiovisuels et transformations numériques ».
Nous tenions à mettre en avant ces propos. Ces trois chercheurs et professeurs font preuve d’une grande pertinence, en pointant du doigt l’effet (qu’on pourrait presque qualifier de manipulatoire) qui se cache derrière les recommandations personnalisées. Car si Sony développe son offre dématérialisée, et ils le feront, il faudra qu’ils soient assez malins pour jouer de ça. C’est avec les limites… Car plus de 700 titres disponibles sur le PlayStation Now, c’est énorme, mais combien nous font envie ? Puis comment recommander des jeux vidéo ? Faire passer le joueur de l’un à l’autre ? Éviter l’ennui, le décrochage, donc le désabonnement..?
Ce qui apparaît à nos yeux de néophytes (ne l’oublions pas…) comme « facile » à faire via de bons algorithmes sur des plateformes dédiées au cinéma devient infiniment plus délicat appliqué au monde vidéoludique. Un art où une aventure peut accaparer l’attention du joueur pendant cinq, vingt ou trente-cinq heures ? Paradoxalement, les géants à l’instar de Netflix ou Disney parviennent à retenir cette attention le long d’une série comprenant parfois 24 épisodes et 9 saisons. Il y a aussi de ça, dans leurs catalogues. Des catalogues diversifiés, une des clés pour fidéliser et élargir sa clientèle.
D’ailleurs, en guise de mot de la fin, il est impossible de ne pas citer le PlayStation Plus Video Pass. Bien qu’il reste cantonné pour l’instant à la Pologne, le service montre bien que le groupe cherche à globaliser sa stratégie. Et rien n’est solide ou figé, tout est en construction, en essais et itérations. On le voit bien avec ce « pass vidéo » qui tombe dans le berceau du PlayStation Plus comme il aurait pu tomber dans celui du PlayStation Now à l’avenir. Puis, parallèlement, le service PlayStation Video existe toujours avec la possibilité de louer ou acheter des films dans leur version dématérialisée.
Coincé entre un top des ventes dématérialisées où GTA V joue encore les héros et de récents investissements chiffrés à plusieurs centaines de millions pour ses exclusivités, dans des studios ne lui appartenant pas mais également dans ses si précieux PlayStation Studios, le géant de la terre du Soleil Levant va forcément devoir faire des choix. Si pour l’instant, nous continuons d’attendre sa fameuse réponse au Xbox Game Pass (le PlayStation Now, en l’état, n’en étant pas une, soyons francs), de petits mouvements intrigants surgissent çà et là.
Nous pensons forcément à la publication day one sur le service de jeux à la demande du concurrent, Microsoft, d’un jeu produit par un des protégés de Sony : le MLB The Show 21 de San Diego Studio. Une exception qui en aucun cas ne deviendra la règle pour les jeux et jours futurs, mais qui dénote (et ce, en dépit de la potentielle pression de la MLB pour amener la franchise baseball ailleurs que chez PlayStation) une « souplesse d’esprit » dont Sony n’aurait peut-être pas fait preuve il y a de cela cinq ou dix ans. Cette souplesse et même cette largesse, quand on voit des initiatives comme Play at Home où les joueurs ont pu recevoir des jeux d’envergure gratuitement afin de les aider à passer le temps dans un monde encore « covidé », nous font dire que la génération entamée pourrait bien nous surprendre… Dans le bon sens, nous l’espérons, tout comme le bon vieux David Jaffe qui appréhende l’avenir dématérialisé vu par Sony.
« Nous ne savons pas ce que c’est. Voici ce qui m’inquiète. Si Jim Ryan pense que la réponse appropriée au Game Pass est d’émuler les jeux PS3, PS2, PS1, puis d’ajouter des Trophées, ce que le brevet suggère, et d’intégrer tous les films et tout le reste afin de créer un service de streaming mélangé avec le PS Now, il se trompe complètement. »
David Jaffe
Impossible de vous cacher que son inquiétude est partagée par l’équipe, mais nuancée d’une confiance (pas aveugle, évidemment) envers Sony. Une compagnie qui a su nous régaler depuis quelques années, il serait malhonnête de ne pas le mentionner.
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